Tout est relatif... je partage bien souvent le point de vue qu'on attribue à Einstein, bien souvent par mesure de prévention aux éventuelles paniques qui pourraient vite s'emparer de moi. Donc tout est relatif : le bonheur, le malheur, la façon de percevoir les deux extrêmes et aussi ce qu'il y a entre les deux. Tout doit être "par rapport à" ou "si l'on compare à", d'aucuns appelleront ça un équilibre en toute chose. Cette loi de la relativité, ça fait déjà un paquet de mois que je l'utilise, couplé à la méthode Coué. Je fais l'effort chaque jour de me dire qu'au final, "si l'on y pense", "si l'on compare à", "par rapport à", je n'ai pas à me plaindre et j'ai même plutôt de la chance. Oui, de la chance où déjà j'ai une activité journalière, bien payée, et qui me plaît en plus de me procurer aucun stress. J'ai cette exquise particularité (de moins en moins particulière) de travailler dans un pays différent de mon pays d'origine en arborant presque fièrement ma condition de résident "étranger" bien plus que je ne serais fier d'être français. J'avais ce vieux fantasme au fond de moi d'avoir un jour assez de courage pour bosser en dehors de mes bases, c'est maintenant fait ; l'urgence de ma situation d'avant - celle auxquels sont reliés tous mes "si l'on compare à" et ses amis "par rapport à", "si l'on y pense" - a fait que je n'ai pas eu de question au moment de devoir partir. C'était ça ou je ne sais pas quoi, c'était ça ou rien, c'était ça et pas autrement. Je suis donc parti à l'arrache pour bosser en Espagne, mélangeant l'envie au besoin en m'abstrayant de questions, de doutes. "Pas le choix" on dirait, ce qui est un sacré luxe, cela évite de se perdre.
L'année dernière difficile, qui reste un gros tas de séquelles sur ma pensée actuelle et sur mon comportement, ne pouvait être suivie d'une année "pire". En effet elle n'est pas pire cette année dans laquelle je suis "si l'on compare à" ce que j'ai vécu avant, "par rapport" à tous les délires que j'ai traversés. Cependant l'examen poussé de la théorie de la relativité ne saurait nier en rien l'existence d'un "absolu", d'un réel, d'un immuable comparable qu'à lui-même. C'est dans cet immuable, dans ce frère-ennemi qu'est la vérité du moment par rapport au relatif, que je navigue depuis quelques semaines déjà. "Si l'on compare à" l'an passé, il est évident que je me sens divinement mieux. Si l'on fait le portrait absolu du présent, on ne peut pas dire que j'aille bien. En ce sens que si je ne suis pas fou aujourd'hui c'est juste parce que je l'ai été l'an passé. Mais si j'étais mon propre observateur, sans l'artifice de la théorie de la relativité, je dirais donc que je passe une année très pénible. Oui, il n'est jamais facile de quitter son pays même si l'on en a besoin, même si - en quelque sorte - on n'avait pas le choix. Il est très compliqué d'arriver quelque part sans repères à la fois dans le travail et dans les espaces de vie sociale. Ma vie actuelle est rythmée par des heures de boulot agréables et du temps libre relativement inutile où l'ennui laisse sécher ses bottes.
Oui, en fait je vis l'année actuelle comme la copie en couleurs de l'an passé, à l'exception près - mais décisive - que je ne tombe pas dans les extrêmes paranoïaques et dangereux du seul exercice de l'autodestruction. L'année est lourde de mon ennui, de ces relents de solitude dans lesquels je me promène depuis un an et demi. J'ai appris, un peu, à sereinement me taire et à dédramatiser seulement à la lumière de ce que j'ai "enduré" l'an passé... L'an passé, de fait, reste de poison en moi, ce "truc" impossible à effacer, anxiogène, mais qui est aussi le garde-fou de mon état mental. S'il n'y avait pas eu l'an passé, c'est cette année que j'aurais pété les plombs. Car il faut de tout, d'un peu de tout (rempli donc de "petits rien"), pour être à l'aise dans sa vie. J'ai le boulot pour me remonter là où ma vie sociale me descend. Quand je dis "vie" sociale, je devrais dire "mort" sociale.
Je suis arrivé dans une ville, et plus généralement, une région des plus fermées d'Espagne, de celles dont on dit que les habitants qui la composent sont sympathiques mais cloisonnés. C'est exactement ça : le nouvel arrivant est intrus et doit faire ses preuves. Ces lieux où le taiseux le dispute au regard apaisé mais toujours un peu inquisiteur et méfiant. Ces lieux où tout est déjà fait, fini, construit et empaqueté. Les premiers mois je n'avais pas ressenti forcément ce côté extrêmement replié qu'ont certaines personnes. Comme nouvel arrivant, je n'ai pas été véritablement soutenu dans ma quête de réapprentissage à aimer l'Humain. On sait m'apprécier, on me donne de belles qualités, de la même façon qu'on ignore totalement que là où je suis, je suis nouveau, perdu et perfectible. Que là où je suis arrivé, je n'étais pas le maillon manquant mais le maillon en plus qui ne trouvait pas de place parce qu'on ne lui en faisait pas. J'ai fait quantité d'efforts, comme jamais, pour surpasser ma timidité et m'intéresser aux gens que chaque jour j'ai pu croiser. Je connais tous mes collègues (nous sommes nombreux), je m'intéresse à eux, fais preuve d'une écoute assez inédite sur leur vie. En retour, je n'ai rien. 7 mois où je suis là à me demander parfois ce que je suis venu faire. Je n'ai pas d'aide sur place pour me connecter à ce nouveau monde que je découvre, ceux pouvant m'aider protégeant leur monde comme un trésor égoïste.
Alors oui, le travail est assez génial pour ne pas succomber aux appels sans cesse renouvelé des sirènes de pire. Mais je trouve assez injuste d'être obligé de m'imposer une année sèche de plus. Il y a beaucoup de mépris, d'indifférence. J'ai assez souffert d'indifférence, j'ai eu ma dose. Le plus pénible dans tout cela c'est que la théorie de la relativité joue contre moi, m'oblige à me taire à la fois face à ceux qui m'ignorent dans ma nouveauté et dans mes besoins de connaître du monde et face à ceux qui pensent que comme j'ai vécu des trucs pas drôles l'an passé, aujourd'hui il serait indécent de me plaindre. Résultat je me réduis à un silence avec tous et ça me mine un peu car, comme tout à chacun, j'ai besoin un peu de vie autour de moi pour vivre. Quand arrive le week-end je ne supporte plus de rester chez moi et ma folie de l'an passé vient cogner à la porte de mon moral pour à la fois me faire mal et me prémunir. Ainsi je réagis et je sors faire des balades... si j'ai un long week-end, des vacances, je pars loin. Et je ne dis rien, ou peu, depuis le début de l'année et je crée l'illusion que tout va bien. Or, tout me manque... et par cette putain de théorie de relativité je ne me donne même plus le droit de me dire que j'en chie, comme si l'an passé avait gaspillé tout mon crédit de "vie difficile".
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