samedi 24 avril 2010

"Les plus belles lettres du professeur Rollin" de François Rollin

"37

Lettre amère à Sophie


Chère, mais quelque peu dévaluée, Sophie

C'était il y a vingt-trois ans, jour pour jour. Nous marchions main dans la main, sur la plage de Biscarosse, devisant librement de sujets divers et passionnants. Vous étiez rayonnante, je crois que je n'étais pas en reste, et n'importe quel observateur un tant soit peu avisé aurait diagnostiqué, en nous voyant, la naissance d'une idylle exceptionnelle et durable (de lapin).
Et puis, au kilomètre 3, sans que rien ne le laisse prévoir, et alors que nous soupesions l'influence d'Érasme sur son siècle, vous avez déclaré : "C'est moi ou ça sent la merde ?" Je ne dis pas que vous n'étiez pas dans le vrai, olfactivement parlant, mais, ce disant, vous nous ramenâtes brutalement à la réalité prosaïque et impotente que nous nous étions si opiniâtrement appliqués à fuir.
[...]"

début de la lettre 37 de Les plus belles lettres du professeur Rollin publié chez Points dans la collection "Le goût des mots", pour la modique somme de 6,50 euros.

Depuis que je suis gamin, je vénère François Rollin... un humoriste très lettré bien plus drôle que le Général de Gaulle (même si, avouons-le, à sa décharge le Général n'était pas officiellement un humoriste). Je me rappelle ses interventions dans la série "Palace", c'était ma séquence préférée (avec les "Brèves de comptoir" déclamées par Carmet), j'étais tout jeunot mais je me régalais de son humour si particulier... ce mec était capable de tenir des demi-heures entières à disserter sérieusement, dans un français savant, sur des sujets complètement loufoques (dans un de ses spectacles il nous "aide" à retenir le numéro de notre carte de crédit à travers ce qu'il appelle des "astuces"... astuces évidemment impossibles à appliquer mais expliquées très pédagogiquement à l'aide d'un rétroprojecteur !). C'est l'humour absurde, la dérision, porté à son plus haut degré, le plus jouissif. Rollin ne raconte jamais d'histoire ni de situation, mais commente sans cesse ce qui peut être commenté sur celles-ci, et ça part dans de vrais délires de psychopates. Il a un vrai amour des mots, un peu comme Devos mais dans un autre genre. Il aime les mots compliqués et embrouiller son auditoire en le torpillant de détails incongrus.


Les plus belles lettres du professeur Rollin est un "recueil" de modèles de lettre (59 au total) sensées nous aider dans pas mal de situations gênantes... exemple : "Lettre à une marmotte pour lui faire savoir qu'on ne s'étonnera pas qu'elle ne réponde jamais" ou encore "Lettre à une femme avec laquelle on a passé une nuit et c'était chouette mais c'était un peu n'importe quoi mais c'était chouette" ou encore "Lettre pour entamer une partie d'échecs à qui perd gagne"...etc. Les lettres sont en général très courtes, savoureuses et surtout le prétexte à de succulentes notes de bas de page qui sont plus longues que les lettres... là Rollin donne pleine mesure à son génie fou, à son érudition également. J'ai appris un bon nombre de mots en lisant cet ovni (qui savait que "pultacé" signifiait "qui a l'apparence, la texture d'une bouillie ?"), il les explique toujours en contexte... mais dans un contexte de fou furieux ! C'est un des rares auteurs pour lesquels j'arrive sans peine à dire que l'on peut réellement apprendre des choses en se pissant dessus de rire. Et pourtant en ce moment c'est pas forcément simple de me faire marrer. Bref, une lecture indispensable à mon sens en cas de secousses. A l'intérieur de ce que j'appellerais bien ce "vadémécum indispensable", il vit comme une constante foire au jeux de mots, à la dérision et au savoir.

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