dimanche 2 mai 2010

"La solitude des nombres premiers" de Paolo Giordano

C'est sur la vive recommandation de la bibliovore Charlotte que j'ai lu ce livre de ce jeune auteur beau gosse italien (j'ai fait mes recherches !)  Paolo Giordano. La solitude des nombres premiers (La solitudine dei numeri primi en V.O.) est le premier roman de cet auteur et a reçu les prix les plus prestigieux en Italie en plus, logiquement, d'un grand succès populaire. On a affublé l'œuvre de superlatifs, adjectifs tapageurs ("le roman choc de la nouvelle littérature italienne") et donc tout a été fait pour le "vendre". Certains parleront sans doute d'un plan marketing ou autre mais, pour être franc, si l'on ne me l'avait pas recommandé j'aurais ignoré l'existence de cet ouvrage.


L'histoire commence en 1983 et nous emmènera jusqu'en 2007. Au fil des pages nous suivons les destins parallèles de deux personnages à la vie cassée : Alice est anorexique et boiteuse à cause du traumatisme d'un accident de ski, Mattia est un génie des maths qui s'automutile, renfermé sur lui-même depuis le drame de son enfance (sensé probablement tout expliquer de sa personnalité). Tous les deux seront marqués du coup par une forme d'autodestruction et leur incapacité à vivre au milieu des autres de manière normale : relation à eux-mêmes complexe, relations familiales complexes, relations amoureuses complexes. Le hasard de la vie de chacun va transformer (enfin) le parallélisme en convergence : Mattia et Alice fréquenteront le même lycée et apprendront à se connaître. De là à dire qu'ils deviendront "amis", c'est une autre affaire car il semble qu'ils ne soient pas "équipés" pour ça, ce sont deux solitaires à la fois contraints et volontaires, qui repoussent sans cesse les points de contact avec le réel et l'Autre, leur droit légitime de goûter au bonheur. Alors, forcément, les relations entre les deux personnages seront aussi intenses que difficiles, là où ce qui n'est pas vraiment de l'amitié semble se transformer en quelque chose qui serait de l'amour mais rien n'est moins sûr. La cruauté de la vie fera qu'au moment où tout semble enfin se réunir dans un entonnoir de logique, dans la possibilité de vivre comme les autres une relation humaine belle et durable, tout ce qui a réuni un temps les deux personnages va les séparer... pour des raisons professionnelles en apparence mais évidemment pour des raisons plus profondes.

Force est de constater que l'on lit une belle histoire, forte et touchante. Les personnages sont presque "caricaturaux" dans leur malheur mais je ne suis pas sûr d'avoir tout le recul nécessaire pour savoir si c'est une tare ou un atoût du roman. On peut se retrouver malgré tout parfois un peu dans le personnage de Mattia ou d'Alice, dans les travers un peu idiots qui font que parfois on se déconnecte de notre réalité. Disons que Giordano a comme "amplifié" le ressenti et les événements. Plusieurs fois je me suis dit "bon sang, il en met quand-même une sacré couche dans la bio de ses personnages, il ne les laisse jamais tranquilles !" C'est oublier que le roman fait la part belle aux ellipses, on ne nous raconte pas une histoire sur 3 mois mais sur 14 ans... donc finalement, même si le pathos semble épaissir grossièrement ce qui transparaît entre les lignes, une prise de conscience du "temps" de la fiction peut balayer ce défaut. En somme, si l'on fait abstraction raisonnée de tout ce qui pourrait encombrer le plaisir de la lecture, on s'attache assez vite aux personnages et on veut en savoir plus à chaque page pour savoir comment ça va se terminer. La seule objection que je ferais sur le roman c'est au niveau du style. Pour moi il n'a rien d'extraordinaire, on est dans une veine très descriptive, certains passages m'ont semblé un peu lourds parce qu'inutiles... exemple qui illustre mes propos, chapitre 29 "Fabio ouvrit le frigo et s'empara d'un pain de beurre dont il coupa un morceau de quatre-vingts ou quatre-vingt dix grammes, selon l'estimation d'Alice. Au contact du risotto, il libéra toute sa graisse saturée et animale. Fabio éteignit la flamme et remua à l'aide d'une cuiller en bois pendant deux minutes supplémentaires". En soi ce genre de paragraphe n'est ni bon ni mauvais mais intervient de manière presque trop mécanique dans l'écriture de Giordano et parfois ça a gâché mon plaisir. Moi qui suis très friand d'images atypiques, il y a un ancrage dans le réel (à dessein, j'ai compris) qui n'est jamais vraiment sublimé.

De fait, je pense vraiment que toute la virtuosité de Giordano réside dans le procédé narratif assez original d'alterner sans cesse entre le destin de Mattia et celui d'Alice, d'alterner les chapitres les concernant pour souligner ce parallélisme, cette "séparation", cette solitude et divergence... même si la symétrie des deux destins reste troublante et c'est là qu'apparaît à mon sens le vrai art de l'écrivain bien plus que dans son style relativement académique pour la jeune génération d'écrivains. C'est-à-dire que de manière assez subtile, la forme éclatée du récit, cette alterance et les ellipses de plusieurs années, redonnent une légèreté vivifiante à ce roman troublant. Quoi qu'il en soit c'est une lecture que je recommande à tous puisque l'histoire est forte, bien ficelée.

2 commentaires:

  1. oui à lire, pour l'histoire assez terrible dans tous les sens du terme... après comme je disais, je ne trouve que le style soit à tomber mais ça peut être secondaire pour ce genre de roman.

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