vendredi 30 avril 2010

"Mauvais garçons" de C. Dabitch et B. Flao

    Bien qu'étant amoureux de l'Andalousie, contrée qui m'a mis des claques à chaque fois où j'y ai laissé trainer mes yeux, j'avoue sans trop de malaise que le flamenco - fleuron de la culture de ces lieux - n'a jamais trop été ma tasse de thé... sans doute parce que cela colle trop à un cliché que l'on se fait sur l'Andalousie en particulier et l'Espagne en général et aussi parce que tout simplement ça ne me parle pas plus que ça. De fait, ce qui m'a fait m'intéresser à cette BD c'est d'abord le trait, le graphisme de Benjamin Flao qui est nerveux, à la fois dépouillé, crasse et aérien. Mais quelle bonne idée d'avoir acquis ce bijou !!


    "Mauvais garçons" nous compte sur 2 tomes la destinée de deux hommes, deux amis, qui vivent pour la passion du flamenco dans un petit coin d'Andalousie. Nous avons d'un côté Manuel, un déraciné qui a vécu en France quelques longues années pour revenir au pays ; de l'autre Benito, un gitan vrai de vrai. De manière presque caricaturale (mais toujours traité en finesse par Christophe Dabitch), nous suivons les tribulations de deux mecs paumés, épris de cet absolu sans concession, pour qui seul le flamenco reste l'unique Étoile du Berger. Par absolu on entend leur façon d'envisager le flamenco, qui doit rester cet art quasi ancestral, qui se vit plus qu'il ne peut se transmettre, qui s'attrape plus qu'on ne va le chercher. D'où le dégoût affiché des deux hommes face à l'éclosion de genres hybrides et putassiers tel le très en vogue "flamenco rock" (le débat est en effet très vivace en Andalousie sur le sujet). L'absolu aussi dans la passion amoureuse, à la fois formatrice et destructrice, l'amour fou des femmes, déraisonné au point de faire passer parfois le flamenco au second plan. La psychologie des personnages, sans être fouillée (et c'est un plus pour moi), est captivante dans ce sens où l'on perçoit bien cette opposition en filigrane entre un homme qui a connu un autre pays, qui a été loin, et un autre qui n'est jamais parti. Les incompréhensions sont profondes parfois entre les deux sur leur vision du monde (Manuel semblant plus "réfléchi" et moins abrupt que le sanguin Benito) mais ne pervertissent pas les liens amicaux.

    "Mauvais garçons" n'est pas une histoire sur le flamenco mais une histoire avec le flamenco... ce qui n'est pas tout à fait pareil. En effet, le flamenco loin d'être le propos de l'œuvre doit être davantage envisagé comme un décor, voire un "personnage". Il n'y pas, comme dans "Le rêve de Meteor Slim" par exemple, une visée totalement pédagogique pour nous apprendre les codes de cette culture très marquée. Non, tout est vraiment question d'ambiance, de "cadre" où le lecteur est plongé in media res dans les chants, les danses, les dialogues. Benjamin Flao réalise un vrai travail de virtuose sur ces scènes très connotées en mettant la fougue de son trait au service de cette atmosphère. Il y a, dans les dialogues notamment, une science du détail qui est plaisante ; les hispanistes apprécieront notamment les transcriptions en langue originale avec les traces écrites de la phonétique particulière des Andalous.
      "Mauvais garçons" fait donc, à mon sens, partie des chefs-d'œuvre. C'est l'histoire de deux vies, c'est l'observation objective de celles-ci. Oui, le scénario n'est jamais perturbé par les coups de théâtre ni une tension extrême... on n'y compte pas des faits, des événements, mais davantage un quotidien et la façon de deux écorchés vifs de le vivre, dans ce flamenco qui les construit et ces amours qui les bouleversent.

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