mardi 27 avril 2010

Mes essentiels : Diabologum - "#3" (1996)

Ah... j'étais jeune, j'étais pas beau. 19 ans, je sentais le sable tiède un peu mouillé. Les cheveux pas dans le vent et plus toutes mes dents déjà. C'était 1996, on était encore au début des années Chirac, les jours étaient aussi marrants que les blagues d'Alain Juppé. Une espèce de morosité s'installait dans le peuple de gauche et un peu partout ailleurs aussi. Grèves, manifs, "droit dans mes bottes", "dans ce pays, une fracture"... les JO d'Atlanta, licence d'espagnol, j'arpentais les bars avec ma pote Delphine, soirées avec Isabel...etc.





1996 : l'année de sortie de "#3 - ce n'est pas perdu pour tout le monde" des rigolos Diabologum... enfin, rigolos comme des blagues de Juppé quoi... je me rappelle avoir écouté cet album rapido dans un magasin "Gibert" (sur un "point écoute" avec les casques pourris reliés par des flexibles de douche) du centre-ville pictave. La pochette bien grise m'intriguait, je ne connaissais Diabologum que de nom et je m'attendais à du rock péchu facile avec un nom de groupe pareil... pendant ce temps-là j'avais un pote qui ne trainait que dans le rayon "Metal" et que ça allait lui prendre des plombes pour choisir un de ses énièmes albums de merde. Je laissais donc trainer mes oreilles sur cet album crasse comme une mine à la Zola... et la première écoute a été un coup de grisou ! Je n'ai pas vraiment aimé, je trouvais ça bizarre... je faisais défiler les titres sur le "point écoute" en me disant "bordel, c'est quoi ce truc ?". Mais je ne sais pas, même sans trop aimer, j'ai acheté le CD... la connerie vous pousse parfois dans vos derniers retranchements, lâcher 110 francs de l'époque pour un truc que l'on n'aime pas spécialement. Comme il m'était arrivé de payer un café à un mec que je ne pouvais pas sentir. Par snobisme anticipé je devais me dire que ça faisait classe d'avoir un ovni dans sa discothèque ou, au pire, un frisbee de rechange pour les vacances estivales. Puis sortir dans une conversation musicale "arf, ça fait penser à du Diabologum les paroles...là", je trouvais que ça avait son petit cachet.


Conscient d'avoir fait une belle bêtise, j'ai tout de même voulu explorer les limites de mon masochisme à écouter plusieurs fois ce carbone sonore. Qu'y avait-il à en dire ? J'étais pour le moins circonspect... déjà les mecs ne chantaient pas. Des deux voix que je distinguais (Michel Cloup et Arnaud Michniak), pas une seule ne me parlait vraiment... elles étaient d'une banalité affligeantes dans le meilleur des cas, d'une monotonie autiste froide pour le pire et ne produisaient donc aucun effet prosodique ou mélodique. Au service des paroles sans doute... puisque pour parler des paroles, moi qui me croyais cérébral (Kellogs ou Chocapic), j'ai tout de suite pigé que je n'étais pas assez fourni en neurones ne serait-ce que pour accéder au sens vaguement général des morceaux. "De la neige en été", un titre beau comme le pire de cet ignoble épagneul italien nommé Cocciante qui prend de stupides coups de soleil, commençait avec ces mots tonitruants "Quand j'ai ouvert les yeux, le monde avait changé, au milieu du mois d'août je crois qu'il a neigé". Là, on a envie de se tirer une balle et de crier "putain les intellos à la con, vous faites chier avec vos concepts !". Parce que ce lyrisme de béton, je n'y comprenais rien, d'autant plus qu'il était sous-tendu par un capharnaüm de guitares saturées qui partaient dans tous les sens. On y était, en plein dedans, dans le cliché de musique pour étudiant de philo à discuter de Bergson et Hegel entre deux gorgées de pineau des Charentes. "365 jours ouvrables", un autre morceau de ce truc sorti par Diabologum, nous prévenait dès le titre qu'on allait se marrer et parler amour-passion... méli-mélo de phrases mystérieuses "échange chef d'Etat contre prophète, signe incurable n°1 du service après-vente..." ? Huh ? Et le Michniak qui "chante" là-dessus a en plus l'outrecuidance de ne rien trop cacher de son accent toulousain.


Les premières écoutes sont traumatisantes si bien qu'on devrait les interdire pour directement passer à la deuxième écoute voire la troisième. Ouep, parce que cet album de Diabologum, c'est un marathon, un effort à fournir pour ne pas se mettre de trop grosses claques à son esprit de tolérance. Tout est codé, tout est codifié et tout est si différent. Les compositions sont noires et tendues, emballées souvent dans des riffs de guitare qui hésitent entre dissonance et veine rock ; puis un jour on arrive à déchiffrer ce code, on se fait enfin un peu vainqueur de ce que l'on écoute... et quand la révélation se fait à vous, tout devient prodigieux. "#3 - Ce n'est pas perdu pour tout le monde" est un album sur l'air du temps même si celui-ci est vicié. Il magnifie la peur, l'angoisse, la grisaille à coup de paroles définitives que l'on reçoit comme des gifles sèches. C'est la description d'un quotidien en décrépitude, une sorte de grande métaphore journalistique des jours qui s'écoulent au milieu des années 90. Toutes les peurs, toutes les rages rentrées, sont inscrites dans le dédale des compositions, dans la façon de Michel Cloup de déclamer avec distance les pesanteurs, dans la façon d'Arnaud Michniak de scander autoritairement les anxiétés. Parfois le propos peut paraître nihiliste comme dans le saisissant morceau "Il Faut" ("on dit que l'art est mort, mais il ne l'est pas encore, il faut le tuer, les choses seront plus claires, on saura mieux ce qu'il nous reste à faire"). "365 jours ouvrables" ne dresse pas un portrait si malhonnête d'une génération qui croit qu'elle va se perdre à peu près à cause de tout (SIDA, précarité sociale, méfiance vis-à-vis de la politique, de la chose religieuse...). L'album a beaucoup à voir finalement avec une tradition hip-hop/rap au niveau des ressentis, des malaises mais sous une forme éclatée, "rockisée". La façon de procéder rappelle énormément ce que quelques années plus tard on appellera "slam". Pour ceux qui connaissent l'œuvre des deux complices têtes pensantes du groupe Cloup et Michniak (partis dans des projets personnels après le split du groupe) on peut dire que cet album est la parfaite symbiose, synthèse, des deux esprits : l'attrait du quotidien pour Cloup, le sens du grave de Michniak. Enfin, l'album vaut aussi beaucoup d'être écouté pour ce morceau instrumental (construit autour du riff de "Pea" du groupe Codeine), "La Maman et la Putain", qui accompagne le monologue du film de la nouvelle vague de Jean Eustache qui porte le même nom. Jamais monologue de film n'a été aussi bien "mis en scène" par la musique qui souligne toute la tension, la sensibilité, contenue dans les mots qui arrivent à nos oreilles.


C'est avec ce genre d'album que je me dis que la musique est aussi affaire de patience, d'apprivoisement mutuel entre l'artiste et son auditeur. Si je m'étais avoué vaincu dès les premières écoutes, si je n'avais pas eu ce minuscule éclat de curiosité, je serais passé à côté de quelque chose d'unique, de vraiment "beau"... et accessoirement sans doute passé à côté des œuvres futures de Cloup (avec son groupe Expérience) et Michniak (en solo ou avec Programme)... quel gâchis c'eût été, non ? J'ai toujours essayé de "vendre" cet album à mon entourage, qui, comme moi à la première écoute, reste très circonspect quant à mon enthousiasme et prêt à me taxer de "putain d'intello à la con qui fait chier avec ses concepts !"... hé hé...

5 commentaires:

  1. cachotier va, moi qui venait de voir qu'il n'y avait plus rien à voir ailleurs... j'aime beaucoup cette description du cheminement nécessaire... (et contente de voir des signes de vie, j'allais décrocher...)

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  2. ah ben t'es là toi ! :))

    Disons que suite à deux mauvaises nouvelles en l'espace de deux minutes (parmi déjà tout ce flot de bonheur qui m'inonde depuis des mois), j'ai - comme qui dirait - "pété un câble" de ras-le-bol au point de m'amputer une partie de la vie virtuelle qui me plaisait... parce que partir d'un coup d'un lieu où l'on trainait depuis plus de 6 ans comme Deviant Art, c'est finalement pas rien. Je ne sais pas si je regrette, mais je préfère avoir fait ça comme geste de dépit plutôt que tout avoir cassé chez moi, ou de m'être tranché le bras... besoin de "casser" quelque chose, sans doute... bon, je savais que je risquais de t'inquiéter en plus de t'agacer c'est pour ça que je suis allé frapper à la porte de ton blog. Quand on angoisse, on fait un peu n'importe quoi malheureusement !

    Quant au cheminement nécessaire, sur mes goûts musicaux, on va dire que 90% de ce que j'aime aujourd'hui m'a "résisté" un sacré bout de temps...

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  3. ça ne m'agace pas, je trouve surtout ça dommage... (ma première réaction a été de voir si tu avais laissé l'autre fenêtre ouverte... j'ai été un peu soulagée...)
    ceci dit des fenêtres ça se rouvre à volonté... ;)

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  4. euh, sinon, si tu as envie de trancher des trucs, j'ai toujours des arbres à couper (je suis en plein dedans là...)

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  5. Pour Flickr, c'est juste que j'ai pas trouvé le moyen de fermer le compte sur le moment et qu'il y a un site breton de tourisme qui lie mes photos à leur pages web, je me voyais pas leur faire une crasse... c'est la seule raison de sa "survie" en ligne pour être franc...

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