samedi 8 mai 2010

Mes essentiels : Cranes - "Loved" (1994)

"Loved" est le 5ème album des Cranes (ne jamais mettre de "The" avant "Cranes", les intégristes du groupe vous feraient brûler) et est sorti en 1994. C'est avec cet album-ci que j'ai eu mon premier contact avec le groupe. Comme pour chacun de mes disques favoris j'ai eu du mal à apprécier à la première écoute parce qu'encore une fois cela sortait des canons habituels.


Cranes c'est tout d'abord la voix plus que spéciale de la jolie chanteuse Alison Shaw. Les Français pourraient la comparer à celle de la Vanessa Paradis des débuts de carrière, c'est une voix de fillette qui n'a jamais mué, ce qui donne tout de suite un aspect très étrange aux productions du groupe. La voix sera donc soit une cause de rejet direct, soit une cause d'intérêt puis d'adhésion à Cranes. Le timbre de voix de la chanteuse en tout cas ne laissera personne indifférent. Quand on écoute A. Shaw chanter on pense fragilité, timidité, noirceur et sucre. Il y a comme une forme d'insouciance qui voyage dans les ondes en même temps qu'une retenue. Avec pareil organe, ce petit "ruisseau" de voix, la tentation pourrait être forte de trousser des mélodies faciles sur des arrangements pop rassurants. Mais, non, que nenni ! Au contraire tout l'intérêt de l'album repose sur les contrastes.

Oui, "Loved" est un album rempli de sonorités rêches, de rythmiques limite martiales (grâce aux métronomiques coups de boutoir du frère d'Alison, batteur sur cet album), de sons refroidis, de guitares précises et saturées. Les moins malins qualifieraient presque cet album de "romantique" au sens historique du terme : une noirceur enflammée, du sentiment beau et pesant. Parfois, les moins malins parmi les pas malins oseraient presque trouver en ce "Loved" des atours proto-gothiques... ça serait faire un non-sens total. L'album est une ode à la sensibilité à la fragilité mais qui a été emballé dans du mastoc, du robuste, pas dans du papier rose à paillettes ni dans un vol élégiaque de corbeaux. On se rapproche souvent de sonorités froides à la The Cure, d'où la filiation coldwave ; Robert Smith ayant d'ailleurs dit que Cranes faisait partie de ses groupes favoris. On se rapproche également beaucoup des ambiances "shoegaze", des ambiances éthérées, aériennes et oniriques des Cocteau Twins de l'époque des albums "Treasure" et "Blue Bell Knoll". C'est pour ce mélange détonnant des genres que l'album fonctionne magnifiquement, mettant en avant un oisillon tombé du nid qui chantonne sur du béton, mais du très joli béton. Alors alternent les morceaux quasi indus comme ce "Reverie" au rythme du galop d'un cheval, les morceaux plus "lumineux" comme le bien nommé "Shining road", (en clip ci-dessous) avec des morceaux plus graves, plus brutistes comme "Loved" ou d'autres d'une infinie tristesse et beauté comme le minimaliste "Are you gone ?". "Bewildered" est un passage dans des mondes plus oniriques sombres (voire presque inquiétants), plus cotonneux alors que "Come this far" et "Beautiful friend" (et son riff à la Chris Isaak) s'articulent sur une architecture plus pop bien que toujours servis par une production froide, éthérée. Le seul morceau un peu enjôleur, mais pas trop, reste "Paris and Rome", qui clôt (presque) magnifiquement l'album avec son riff xylophonesque.


"Loved" est véritablement un album cocktail à découvrir, on tombe facilement sous le charme discret mais ravageur d'Alison Shaw, on apprécie la finesse des arrangements, les bruitages et les parties rythmiques vraiment superbement travaillées.

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