samedi 24 avril 2010

La photo et le "moi je"

Ce qui m'a poussé à faire de la photo ce sont tout d'abord les mots passionnés d'un collègue de boulot, Loick - l'homme qui monte dans les bus dès qu'il en voit, lorsque j'étais surveillant dans un collège rural. La photo était pour lui une passion sereine, qu'il exerçait déjà sur un Minolta reflex argentique (qu'on avait eu le malheur de lui voler à Barcelone si j'ai bonne souvenance), très fan de la technique photographique, à la fois au niveau de la prise de vue et du matériel. Il en parlait sans jamais être pénible ce qui relève de l'exploit quand quelqu'un vous parle d'une passion qui vous est étrangère, je ne le remercierai jamais assez de ne pas m'avoir pourri les oreilles ! A l'époque, très sincèrement, à part avoir pris mes nièces en train souffler sur leur gâteau d'anniversaire avec un appareil jetable ou des photos souvenirs de soirée, comme ça, vite fait, je n'avais aucun contact avec la photo. Je n'avais pas du tout la culture de cet art, je ne connaissais pas les grands maîtres (hormis les très grands noms type Doisneau, Cartier-Bresson...etc.). Aujourd'hui encore j'avoue ne pas être au point avec la tradition, l'histoire, de la photo.

Cela dit j'avais toujours eu envie de faire des choses en rapport avec les arts graphiques mais mon côté extrêmement maladroit, peu précis, m'empêchait de tenir correctement un crayon, un pinceau... ce qui a toujours été une vive frustration. Je me suis mis à la photo "un peu beaucoup" pour combler ce vide de mon incapacité à dessiner. Quand j'étais môme, comme beaucoup d'entre nous, je passais des heures entières à dessiner... avec patience mais "gauchement avec ma main gauche" (de gauchiste ?). J'adorais ça même si le résultat de mes efforts n'avaient rien à faire pâlir d'admiration mon entourage. Comme j'étais terriblement brouillon, je n'arrivais jamais à obtenir ce que j'avais pourtant clairement en tête, ce qui avait le don de m'agacer. Au collège, je me prenais toujours des sales notes en dessin alors que je pouvais passer des heures avec plaisir pour essayer de faire un truc sympa. A côté de moi mes petites camarades passaient juste 10 minutes sur leur Canson et créaient des merveilles ! J'avais envie de leur mettre des châtaignes, jaloux que j'étais de leur don. Aujourd'hui encore, je me dis qu'un jour, à force de persévérer, j'arriverai à dessiner quelque chose de reconnaissable et de pas trop honteux ! Je crois qu'il faut un déclic en somme, un truc à comprendre que je n'ai pas encore compris !

Le Canon G3 (qui n'était pas du tout de la camelote !), mon tout premier appareil photo.


De fait, un peu par hasard donc, la photo a comblé le vide "artistique" sous-jacent. Un jour je suis allé m'acheter un appareil photo numérique, juste comme ça, pour en avoir un et me dire que je pourrai commencer à prendre 2 ou 3 choses en photo. J'ai commencé début 2004 à fréquenter une communauté artistique sur internet (Deviant Art) où d'emblée j'ai publié mes premiers "essais" histoire de me frotter un peu aux autres... c'était évidemment pas très convaincant au départ, parce que je prenais tout et n'importe quoi en photo et que j'en faisais tout et n'importe quoi aussi. Mais je me donnais du mal à déclencher dans tous les coins sans vraiment m'interroger sur les règles de l'art, sans me poser ni essayer - par exemple - de comprendre les techniques de base pour avoir une photo juste bien exposée, bien éclairée. J'ai pas mal tâtonné mais je me suis pris vraiment au jeu. Le truc qui me faisait mal c'est quand je comparais ce que je faisais aux travaux des autres, ça me mettait une claque ! Cela m'a quand-même aidé de scruter les travaux des autres pour essayer d'en trouver une logique interne et peut-être des recettes universelles de ce qui pouvait être esthétique ou non.

Voilà ce que j'étais capable de faire au bout d'un an de pratique (2005)... cadrage "étrange" (pour pas dire insignifiant), traitement "à la truelle" façon maquillage de vieille prostipute... mais j'étais fier. Je n'arrive pas à trouver une photo de mes tout débuts... tant mieux !

Puis à force de côtoyer virtuellement des artistes en herbe ou confirmés, j'ai commencé à "chopper le truc" comme on dit. Au départ, c'est normal, on essaye un peu de copier ce que l'on a vu ici ou là... mais l'humilité nous apprend qu'une copie ne reste jamais qu'un clone raté et détestable de ce que l'on chérit. Cependant il est difficile de se détacher complètement de ce qui nourrit notre regard. Malgré tout, au fil du temps, on arrive à se défaire un peu de nos envies de plagiaires pour trouver une sorte de chemin intérieur, qui s'impose à nous, une façon de faire, une façon de voir, une façon d'envisager les choses et le monde qui nous soit personnelle. En fait, ça vient naturellement, sans qu'on ne pose mille questions d'ordre technique voire idéologique. Peu à peu je me suis senti évoluer vers quelque chose qui me ressemblait mais que je ne me suis jamais imposé à moi. Je ne me suis jamais dit "tu dois faire ça pour arriver à ça" en matière de photo.

Ce que j'arrivais à faire après 2 ans (2006) sachant qu'à la toute fin 2005 je me suis acheté mon premier appareil reflex, le Canon 350D qui allait m'accompagner 4 ans... à cette époque, je "salissais" volontairement et systématiquement mes photos avec des textures car j'avais vu ça chez quelques artistes et ça m'intriguait. Pendant un an je n'ai fait quasiment que ce type de traitement même si j'affinais vraiment mon travail, ma technique et mes cadrages (enfin, je crois !).

Alors dans mon approche, moi je pense sincèrement qu'au final je ne fais pas de la photo mais des images. Pour plusieurs raisons : je n'ai sûrement pas le bagage technique suffisant pour me contenter de prises de vue brutes et tout de suite esthétiques. Si je comble peu à peu mes carences techniques, si je me sens de plus en plus capable de faire de la photo "naturelle", je lutte contre ça. Ensuite pour moi la prise de vue ("prendre la photo") n'est qu'un simple point de départ vers mon plaisir artistique. Parfois je dirais même que c'est un prétexte. La photo que je prends n'est qu'un "fusain" imprécis de l'objet final que je veux rendre.
D'où mon côté assumé et revendiqué de retoucher les photos et d'une façon qui permette sans aucun doute de dire : "il l'a retouchée celle-ci". Pour moi ce n'est pas une honte puisque la retouche, le "traitement", la postproduction, d'une photo montre justement mon intervention personnelle dans le processus, ma vision des choses. Quand je visite des lieux la meilleure façon de me les approprier peut-être reste ma vision personnelle parfois en total décalage assumé avec la réalité des lieux. Je dis souvent que, par exemple, peu m'importe de prendre une photo de la Alhambra de Granada si je n'y mets pas un peu de moi-même dans l'image finale. En effet ce monument connu de tous a été pris en photos des millions de fois par des amateurs ou des spécialistes qui ont déjà parfaitement rendu la "réalité" des lieux. Mon but à moi c'est de me demander comment cette Alhambra sera mienne, dans mon espace esthétique à moi, pas celui que je n'arriverai jamais à copier. 

Je vais donner un exemple concret de ce que je raconte. Ci-dessous voici photographiée par mes "soins" ladite Alhambra. La première photo est traitée dans une approche classique, touristique, qui tend à donner une version de la réalité des lieux. J'aime cette photo, elle n'est pas trop mal mais elle n'atteint pas forcément l'excellence de certains qui ont su mieux que moi rendre la beauté du lieu.

  (c) p.o.v.

La deuxième ci-dessous est une photo traitée avec une approche beaucoup moins classique mais beaucoup plus personnelle, qui se rapproche davantage de ma vision esthétique, de ce que je veux faire ressentir. Une part de mystère atemporel, un truc diffus bien qu'on reconnaisse très vite le monument.


  (c) p.o.v.

Tout ça un peu pour couper court parfois à des débats un peu stérils sur "est-ce qu'il faut retoucher ?", "la retouche c'est pas bien, c'est plus de la photo...etc.". Moi je suis en dehors de ce débat, je ne sais si ce que je fais s'apparente encore à de la photo ou à autre chose mais cela ne m'empêche pas de dormir. Parfois, à moments comptés, on m'a fait le reproche de finalement ne "pas être capable" de faire sans le traitement... c'est-à-dire le reproche déguisé de mon manque de savoirs basiques pour faire des choses sympas sans artifices. Cela m'a toujours fait un peu sourire car je ne me suis personnellement donc jamais mis en tête d'être un représentant d'un monde réel. Mon plaisir reste égoïste, je fais des photos pour moi, pour essayer de faire passer un peu de moi, simplement, dans ce que je présente. Donc, amputer mes photos de traitements "voyants" serait amputer mon plaisir à travailler les objets... comme un dessinateur à qui on reprocherait de ne pas dessiner d'une façon hyper réaliste. Ma façon de coloriser, de ré-éclairer les clichés, c'est ma façon à moi de dessiner sans crayon et donc de rayer toute cette frustration à ne pas savoir tenir ledit crayon.

3 commentaires:

  1. Très chouette article, j'aime beaucoup ce que tu y raconte ainsi que l'évolution de tes photos !
    Et je m'identifie totalement à la dernière partie de ton article, au sujet de la retouche. C'est exactement pareil pour moi, d'ailleurs ça saute à l'œil tout de suite quand on voit une de mes photos, que ça a bien été retouché sur toshop.

    Et pareil, je ne sais pas si ce que je fais c'est de la photo et ça ne m'empêche pas de dormir non plus. Je m'amuse à créer, point.

    En tout cas, je me répète sûrement mais j'adore ton univers visuel dans tes photos, cet aspect "vieille photo" aux textures usées et aux couleurs délavées... C'est tout à fait ce que j'aime.

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  2. Merci pour le commentaire toi que je pourrais donc tuer pour tes (grandes) talents en dessin.

    Ma période 2006-2007 a été très marquée par les textures pour ce qui est du traitement, si bien qu'il m'était carrément impossible à un moment d'envisager un rendu sans texture, sans "crapouillerie". Du coup ça devenait trop systématique et je n'aime pas me cantonner à un genre... du jour au lendemain je suis passé à autre chose mais j'y reviens de temps en temps. Ces derniers temps j'ai eu ma période "flou"/jeu de perception, je suis toujours un peu dedans mais j'essaye de m'en défaire aussi, histoire de voir quelle "idée" ou nouveau traitement pourrait m'amuser... le truc c'est quand-même d'essayer à côté de s'améliorer sa technique de base... j'y arrive mais c'est très poussif. Le seul truc objectif qui montre que je progresse c'est que je mitraille moins qu'avant, j'ai moins besoin de cette "sécurité" d'avoir plein de fichiers en main... enfin, bon, vu le peu de photos que j'ai pris ces 6 derniers mois, j'en ferai pas un théorème. Bonne soirée, merci d'être passé par ici.

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  3. ah! les textures, c'est mal... ;)

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