jeudi 22 avril 2010

Une loi contre le port de la burqa ?

Quelques réflexions personnelles dont tout le monde aurait, certes, pu se passer sur le sujet.

1/ Tout d'abord l'idée qu'on puisse forcer (je dis bien "forcer" le mot à son importance, je m'expliquerai plus tard) une femme à se couper de l'extérieur, de la communication à travers un emprisonnement quelconque (ici il est "vestimentaire" et clairement ostentatoire) me révulse évidemment. Je pense en effet, comme la grande majorité, que l'émancipation totale de la femme, sa pleine liberté de vivre et de penser, ne passera jamais par ce genre symbole humiliant quoi qu'en disent les plus nuancés ou les plus furieux défenseurs de dogmes pour le moins obscurs et pas vraiment officiels de surcroit. De fait, oui, moi je vois le port de la burqa comme une véritable agression faite aux femmes et aussi comme une agression qu'on me ferait à moi. L'idée de pouvoir croiser quelqu'un complètement enfermé me met juste mal à l'aise parce qu'on me met son drame à la figure, parce que l'on m'oblige à observer une soumission (que ce soit celle à un Dieu, un mari ou frère fou furieux).

2/ Ensuite, étant un laïc féroce (ce que certains aiment à confondre avec antireligieux bouffe-curé irrespectueux) l'idée même d'ostentation quelconque d'une religion quelconque me provoque une sorte de petite rage intérieure. Je n'aime pas voir une petite croix sur un pendentif, je n'aime pas croiser des gens avec leur kippa, je suis pas forcément fan du voile non plus... tout ça contribue en fait, selon moi, beaucoup plus à marquer sa différence avec les autres qu'un attachement à des valeurs religieuses communes. Moi je suis de tel camp, toi t'es d'un autre : tu peux pas me comprendre. Ou au contraire : je suis comme toi, je fais les mêmes choses, serrons-nous les coudes et méfions-nous des autres. J'ai une vision très schématique de tout cela, je le concède, mais ça m'aide à me tenir à mes convictions. Donc dans le cas de la burqa on atteint des sommets du "je vous emmerde, je suis comme ça et seulement ceux qui m'aiment me suivent". Même si c'est rare, voir des bonnes soeurs traverser la rue ou faire leur course en "habit" m'agace légèrement. Ce n'est pas par manque de respect des religions ni par manque de respect des religieux mais je ne suis vraiment pas à l'aise avec les signes extérieurs de religion car il m'exclut d'une partie des gens, en quelque sorte.

3/ Cela dit, j'essaye de réfléchir et de me mettre à la place des gens que l'on montre du doigt et de remettre tout en contexte et de me dire à quoi servirait telle loi, quel serait son but. La première chose que l'on puisse dire c'est qu'en France le "phénomène Burqa" est beaucoup plus médiatique que statistique. En effet, d'après les chiffres officiels les estimations disent qu'entre 2000 et 2500 femmes portent la burqa en France... autant dire que c'est insignifiant et qu'en purs termes de chiffre ce n'est pas un "problème" en soi. Cela relève donc du symbole. Après, parmi ces 2000/2500 femmes combien sont réellement contraintes ? Ben oui, je trouve important de se poser la question. Je ne suis certainement pas naïf au point de penser que la majorité d'entre elles le font gracieusement mais il serait totalement bête de penser que dans le "lot" il n'y en ait pas qui s'habillent de la sorte "réellement" par convictions religieuses. On peut gloser ensuite avec provocation sur la "santé mentale" de ces quelques volontaires... mais après tout, personne n'est en mesure actuellement d'évaluer le ratio volontaires/forcées de porteuses de burqa.

4/ Me vient donc alors cette réflexion : pourquoi "empêcher" une femme qui le souhaite, par convictions religieuses, de porter la burqa ? Je trouve que c'est un point chaud. Sans arrêt je me dis que les plus fervents croyants d'une religion vivent parfois des drames dans le quotidien. A savoir que si pour eux Dieu passe avant tout, comment peuvent-ils vivre sereinement le fait que les lois républicaines (que personnellement je chéris !) soient au-dessus de leur Dieu ? Parce qu'il ne faut pas se leurrer : le croyant sincère aura toujours plus peur de son Dieu que du gendarme ! A choisir entre le terrestre temporaire pénible et l'éternel céleste possiblement radieux le calcul est vite fait. En d'autres termes, comment demander à des Musulmans très croyants de - en quelque sorte - mettre en veille ce qui les construit au quotidien, de mettre de côté ce qui à la fois leur donne espoir et leur fait peur. On préfèrera dans leur cas plutôt passer de sales moments au commissariat, se taire, plutôt qu'avoir des comptes à rendre avec le Divin. Alors oui, je sais bien qu'en France, c'est d'abord la République et je trouve ça essentiel à mon équilibre à moi en tant que citoyen de mon pays mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'autour de moi il y a des gens pris entre deux feux : celui de la raison républicaine (et laïque) et celui du religieux. Si l'on veut jouer aux bœufs binaires on peut s'en sortir par : "s'ils ne sont pas contents avec la République, qu'ils s'en aillent", écho de la magnifique saillie d'un nabot chef d'État priapique en campagne "la France vous l'aimez ou vous la quittez".

5/ Le problème est cette collusion terrible entre les lois des Hommes et celles de Dieu. Je pense que ce sont deux entités non conciliables et que tout mélange des genres devient dangereux. Nous avons connu un long temps ou le religieux s'occupait trop du séculier, de la vie quotidienne. Les choses ont commencé à aller mieux quand l'influence de la chose religieuse a décliné pour trouver un point d'équilibre tacite et entendu, une sorte de "no man's land idéologique", un "je ne dis rien mais je n'en pense pas moins sur toi" acceptable. Là, je pense que l'on risque de chambouler en quelque sorte cet équilibre, par effet de balance inverse, si l'on s'occupe de légiférer sur du religieux. Oh, je sais, je sais, on pourrait me dire que dans cette histoire il n'y a pas que du religieux et que même le religieux n'est qu'un prétexte de fous furieux pour soumettre les femmes. Je suis d'accord avec ça, sans aucun problème. Cela dit, il ne faut pas se refuser à voir qu'avec la possibilité d'une loi contre la burqa on grossit les traits les plus méprisables d'une religion et une seule religion : la religion musulmane. En ce sens, en dénonçant les méfaits d'un intégrisme coupable d'une religion on assimile beaucoup la religion à ses pires dérives.

6/ De fait tout cela donne beaucoup de grain à moudre aux extrémismes. Une loi sur la burqa ne fera qu'exciter ses plus fervents défenseurs, à remuer la merde elle vous éclabousse à un moment. Je suis presque sûr que l'éventuelle adoption d'une loi qui interdit purement et simplement le port de cette prison de tissu va déclencher un mouvement de retrait communautaire ; des modérés hésitants, qui parfois sentent très mal le regard que l'on porte sur eux à cause de leur religion, vont approuver le port de la burqa, en faire un cheval de bataille par une sorte de provocation ultime pour exprimer un ras-le-bol, dans une "sublimation" du "je n'ai plus rien à perdre". De l'autre côté, les fachos de tout bord, anti-musulmans de base ou chrétiens/juifs intégristes, vont faire de ce combat un symbole : une loi existant justifiera leur propos comme quoi la religion musulmane pose problème, auto-exclut ses croyants qui, par raisonnement en escalier, n'ont plus rien à faire sur le beau territoire si joliment républicain de France. En gros, ils se cacheront derrière cette loi pour exprimer leurs points de vue de manière plus sereine comme on se cache derrière une barricade pour éviter les pierres. Je trouve qu'une telle loi serait dangereuse à l'équilibre déjà fragile des communautés.
Ensuite, dans le cas des femmes qui sont forcées à porter la burqa, en quoi une interdiction "formelle" résoudrait le fond de leur problème ? Très bien, on peut interdire de leur faire porter cette chose mais que deviennent-elles ? Est-ce que cela fera réfléchir pour autant ceux qui les ont forcées à s'habiller comme ça ? Vont-ils soudain prendre conscience de quoi que ce soit ? Seront-ils plus compréhensifs, aimants, respectueux avec leurs femmes ? Franchement c'est de l'ordre de l'utopie. Quelque chose me dit que si une femme forcée à porter la burqa jusqu'ici ne pourra plus la porter et bien : on l'enfermera chez elle. Point. Elle ne sortira plus, on ne les verra plus et le drame se jouera à l'intérieur des murs sans qu'on ne sache rien. Une loi contre le port du voile intégral ne défend en rien les femmes, elle sert surtout à ne pas heurter la population qui - comme moi - est mal à l'aise à l'idée de croiser une femme en burqa. A ce niveau, au risque de passer pour un provocateur terrible, la burqa avait un rôle : celui de nous alerter sur le sort de certaines femmes musulmanes ! C'est parce que certaines portent la burqa que l'on s'interroge sur l'éventuelle vie familiale qu'elles ont, sur la soumission éventuelle et scandaleuse à leur entourage masculin. C'est justement un signe extérieur de souffrance. Au lieu de ça, de s'interroger on préfère supprimer une inconnue à l'équation... "ni vue, ni connue"... "cachez-moi ça, ça me fait peur... qu'elle en bave mais sans qu'on le sache, s'il vous plait"...

7/ Ce que je vois aussi c'est évidemment une manœuvre politique. Le problème de la burqa est un symbole, un épouvantail à agiter, pour cacher d'autres problèmes beaucoup plus graves comme la précarité galopante, le chômage, l'exclusion sociale et la démission totale des gouvernants à avoir une vraie politique éducative. Souvent, par boutade, je me suis dit qu'on s'occuperait plus des chômeurs ou des lycéens s'ils portaient une burqa ! Deuxième temps de la manœuvre, c'est le caractère politicien de la loi. En effet, vu les remous qu'elle provoquerait cela donnerait un magnifique champ d'expression à ce que l'on appelle pudiquement "la politique de la sécurité" qui n'est rien d'autre que de la politique populiste. L'art de nos gouvernants actuels pour allumer des feux, gonfler le torse en faisant semblant d'être les seuls légitimes à les éteindre est un jeu subtil. En créant le bazar continuel on se permet de faire semblant de résoudre les problèmes qu'on s'est posé tout seul... et on sait comment a été élu notre superbe président. Je pense que c'est tout simplement le premier acte de campagne de 2012.

8/ Alors moi, d'où je suis, derrière mon écran, très franchement je n'ai pas de solution mais je reste convaincu que celle qui pourrait être choisie serait terrible. Le pays a juste été incapable d'anticiper ces problèmes, on ne cherche jamais à dialoguer... que ce soit d'un côté ou de l'autre, tout le monde reste campé sur ses positions sans jamais chercher des points de compromis. Résultat : des femmes (celles qui sont contraintes) qui vivent très certainement mal d'être obligées de sortir complètement recouvertes sont, en plus, montrées du doigt dans leur état de musulmane incapable de réagir par rapport à la brutalité psychologique (voire physique) de leur entourage, et la brutalité "institutionnelle" d'un État qui ne sait plus trop quoi faire pour s'occuper d'elles. Je trouve ça terrible car véritablement le débat ne vient jamais en aide à ces femmes-là que finalement on exclut beaucoup plus encore que l'on ne défend... Si je conçois que quiconque vient habiter dans un pays différent du sien doit faire des efforts d'adaptation ("d'intégration" comme on dit) pour se fondre dans le moule, je ne pense pas qu'il soit simple de s'adapter si tout le monde nous regarde de travers, encore plus si c'est à cause d'idiots dont je ne revendique pas forcément la façon de penser. Enfin, je pense qu'il serait de bon ton de rappeler que l'on ne quitte jamais son pays sans une forme de souffrance, laisser ses racines derrière soi doit être quelque chose d'extrêmement difficile à faire : c'est quand on n'a pas le choix que l'on s'en va, c'est quand on ne trouve plus rien d'autre pour fuir la misère. C'est angélique comme façon de voir mais c'est, à mon avis, la vérité. Les gens ne changent pas de pays, de culture, pour imposer la leur ailleurs, par esprit de conquête (ça c'est une vision qui a 5 siècles de retard) mais par instinct de survie. Alors oui, ce que l'on peut emporter c'est des morceaux de sa mémoire, de sa culture car on n'a plus que ça dans ces cas-là. Le problème réside dans le fait que l'on brandisse toujours les pires avatars de ladite culture pour justifier qu'elle n'ait pas lieu d'être ici ou là...

Et ces gens si prétendument attachées aux lois républicaines auront-ils l'envie et la même ferveur, par exemple, juste comme ça, de dissoudre toutes les organisations  chrétiennes bourrins anti-avortement ? Parce que ça aussi, me semble-t-il c'est une belle négation de la liberté d'être et de penser des femmes...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire